Fiche pratique N°01 : Quand le bétail sort de sa réserve...

Les animaux mis en pâture s'échappent : un simple problème de clôture ?

Hormis dans les cas manifestes comme une clôture à terre ou une barrière ouverte depuis plusieurs jours, ou encore un électrificateur en panne depuis plus d'une semaine, lorsque les animaux sortent de leur enclos, c'est rarement un problème de clôture... Fréquemment nous retrouvons un arbre effondré sur la clôture (tempête, neige collante, castor...), ou la batterie de l'électrificateur vide, ou encore un fil électrique qui pendouille à 20cm du sol suite à la traversée d'une harde de biches... et pourtant aucun de nos animaux n'est sorti alors qu'ils auraient pu le faire sans trop de mal !


Batterie vide

Arbre couché par les castors

Traversée de gibier

Lorsque les animaux commencent à passer la clôture, c'est l'indice qu'il y a un soucis dans la gestion du pâturage. Il est tentant de renforcer la clôture, ou de pousser la puissance de l'électrificateur... mais ce ne serait que tenter de masquer le problème et prendre le risquer de s'exposer à des conséquences plus graves : blessures en passant les barbelés, amaigrissement, stérilité, maladie, parasitisme... De plus dans le cas des bovins et équins, ce ne sont pas de « petites clôtures » qui arrêteraient des animaux d'une demi tonne bien décidés à partir !

Nous allons passer en revue les causes les plus fréquentes des sorties d'enclos ainsi que la manière de les distinguer et les pistes de solutions à tester.
Soucis de nourriture
Femelles gestantes
Jeunes animaux
Visibilité ou oubli des clôtures
Micros habitats
Dominances et structure sociale du troupeau
Soucis d'habituation à la vie sauvage
Intrusion
Prédation
 

Soucis de nourriture

Le début du pâturage de la parcelle se déroule bien, les problèmes surviennent brusquement avant la fin estimée de la période de pâturage. Les animaux vous font comprendre qu'ils ont faim (appellent, viennent voir si vous n'avez rien à manger, vous prennent le pli du pantalon ou la manche avec leur bouche). Le poids (ou son estimation via la mesure du périmètre thoracique) de l'ensemble des animaux chute brusquement. La tension et la nervosité augmente dans le troupeau, les disputes sont de plus en plus fréquentes. Les dominants harcèlent les subalternes et tentent de les pousser dans les clôtures pour les briser...

Cause 1 : Quantité de nourriture insuffisante. Il n’est pas toujours évident d'estimer la productivité d'une parcelle, surtout si c'est la première fois qu'on la fait pâturer. Même en refaisant le même pâturage que l'année précédente, on peut encore avoir des surprises. Les aléas climatiques (printemps tardif, sécheresse, canicule...) influence la productivité des parcelles ainsi que les besoins des animaux. Le planning de pâturage est impossible à prédire avec exactitude à l'avance, il doit être révisé de semaine en semaine.

Cause 2 : Manque de diversité de la végétation. C'est souvent le cas avec des parcelles remises en pâturage après un abandon. Quelques espèces dominent la végétation : reine-des-prés dans les mégaphorbiaies, phragmite dans les roselières, fougères aigles dans les landes, galéopsis dans les coupes à blancs, ou encore des invasives comme la balsamine de l’Himalaya ou la renouée du Japon... Ces espèces ne sont pas appétentes toute l'année, il faut venir les pâturer à la bonne période. De plus, le manque de diversité de la végétation risque de lasser les animaux...

RND du Fays de la Folie à Manhay : mise en pâturage de parcelles envahies par la balsamine de l'Himalaya.
Avec un tel niveau d'infection, le pâturage a dû être complété
par de la fauche et de l'arrachage avec l'aide du DNF,
du CR Ourthe et l'organisation de 3 chantiers avec des bénévoles. Il a fallu 5 années pour venir à bout de cette invasive !


Cause 3 : Ratio herbacées/ligneuses non respecté. Certains croient que les animaux consomment d'abord les herbacées, et qu'ils ne s'attaqueront aux ligneux que lorsqu'ils auront terminé le dernier brin d'herbe... C'est tout à fait faux, ils consomment volontiers des ligneux s'ils y ont été habitués ; mais dans une certaine proportion (chèvre = 100 %, mouton = 90 %, bovin = 40 %, chevaux = 20 % de ligneux maximum). De plus ils ne  consomment généralement que les rameaux de moins d'un centimètre de diamètre, mais peuvent aussi écorcer certaines espèces (peupliers, saules, sorbier...) ou casser par frottement les jeunes troncs de moins de 5cm de diamètre. Ce ne sont pas des castors, ils délaisseront les arbres trop gros.

RND de Béna Bwès à Manhay : si les chevaux consomment volontiers des ligneux,
ceux-ci ne peuvent constituer que maximum 20% de leur alimentation (sauf en fin d'hiver où la consommation peu devenir massive)


C'est uniquement avec les chèvres que la proportion de ligneux peut monter à 100% (Photo : Patrick Verté)

La solution à ces trois causes est de diminuer la charge (il faut parfois la descendre à 0,05UGB/ha dans les situations difficiles) ou dans les deux derniers cas ouvrir la parcelle sur une parcelle adjacente plus riche en herbacées.

Dans la restauration de parcelles dégradées on veut parfois tout faire par pâturage en quelques années. Le pâturage n'est pas une solution miracle, et rien ne sert de pousser la charge. Il faut rester raisonnable et terminer la saison de pâturage par une intervention mécanique (débroussailleuse, gyrobroyeur, tronçonneuse...) et laisser du temps à la nature en étalant la restauration sur plusieurs d'années.


Femelles gestantes

Les femelles gestantes cherchent généralement à s'isoler du troupeau quelques jours avant la mise bas. Elles testent des endroits calmes et tranquilles (fourrés, taillis denses...). La charge doit être faible sur la parcelle (inférieure à 0,5UGB/ha) pour permettre aux futures mères de s'isoler et la parcelle doit comporter ces types d'endroits calmes.
   
RND du Fays de la Folie à Manhay : les juments restent sous le taillis pour la mise bas et durant les premiers jours des poulains.

RND du Fays de la Folie à Manhay : Chaque jument doit pouvoir s'isoler avec son poulain.


Jeunes animaux

A la naissance, les animaux sont de petites tailles et n'ont pas la maturité mentale ni l'expérience pour comprendre ce qu'est une clôture. Ils se faufileront entre les barbelés comme si de rien n'était. Il leur faut plusieurs semaines pour apprendre où sont les limites de la parcelle en suivant leur mère. L'idéal est de faire les mise bas sur de grandes parcelles (plus de 2Ha) afin d'avoir un ratio périmètre/surface faible et diminuer la probabilité de sortie des nouveaux-nés.
  
RND du Moulin de la Fosse à Manhay : le repérage des clôtures par les poulains se fait en suivant leur mère.

Les jeunes sont légers avec de longs membres, effrayés ou surpris de votre arrivée, ils peuvent facilement sauter la clôture. Soit ils réussissent à revenir, soit leur mère passera la clôture pour les rejoindre... Il est utile à cet effet de prévoir des points de faiblesses dans la clôture (par exemple une barrière constituée d'un simple fil galvanisé électrifié), ça facilitera le retour du jeune... ou la sortie de sa mère pour le récupérer !

RND du Moulin de la Fosse à Manhay : Poids plume et longs membres, l'idéal pour sauter une clôture.

Les jeunes animaux se couchent souvent au sol. En effet, la croissance des membres s'effectue lorsqu'ils sont couchés. Ces zones de repos souvent ombragées ne doivent pas se situer le long des clôtures, en se roulant au sol, le jeune peut passer sous le fil et se retrouver hors de l’enclos.
  
RND de Béna Bwès à Manhay : jeune étalon en fin de croissance étalant ses membres sous la garde de deux adultes.

Finalement au moment du sevrage il est important de laisser des adultes avec les jeunes afin de les rassurer et de poursuivre leur éducation sociale au sein d'un troupeau.


Visibilité ou oubli des clôtures

Pour être facilement repérée par les animaux, il est bon « d'accrocher » la clôture à un élément du paysage : talus, chemin, fossé, haie...
  
RDN du Fays de la Folie à Manhay : clôtures en bordure de chemin et de haie.

Dans le cas de fil galvanisé (peu visible, surtout de nuit) en plein pré, il est souvent utile de le souligner avec un ruban blanc (ruban électrique pour chevaux).

RND du Moulin de la Fosse à Manhay : séparation de la zone réservée pour la fauche avec un ruban.

Éviter d'ouvrir puis fermer une barrière pour laisser l'accès ou non des animaux à la parcelle mitoyenne. Il y aura toujours bien un distrait qui arrivera au grand galop et se rendra compte trop tard que la barrière est refermée !

RDN du Fays de la Folie à Manhay : barrière rudimentaire pouvant être facilement "pulvérisée" par un animal distrait.

Dans le cas des clôtures temporaires, déplacer les clôture dans le sens de l'agrandissement de la parcelle. Passer par une autre parcelle durant une quinzaine de jours avant de revenir sur une parcelle réduite.



Micros habitats

Les animaux ont besoins de zones de roulade pour prendre des bains de poussières pour l'entretien du pelage, de troncs rugueux pour se frotter, de zones de repos sèches si la parcelle est marécageuse, de zones pour s'abriter du vent, des intempéries, du soleil, de zones de taillis sombres pour se protéger des insectes piqueurs... Ils connaissent bien leur territoire et passeront sur la parcelle voisine plus accueillante si l'une de ces zones leur manquent.
 
RDN du Fays de la Folie à Manhay : recherche de zones sombres à l'abri des insectes piqueurs.



    
RDN de Bénà Bwès à Manhay : défonçage d'un vieux tas de rémanents et de terre pour les bains de poussières
Rien de tel qu'un genêt pour se frotter le ventre ou qu'un bouleau bien rugueux pour les épaules et la croupe !



Dominances et structure sociale du troupeau

Si tout le monde a en tête la compétition entre les mâles reproducteurs, il y a bien d'autres rapport de dominance au sein d'un troupeau. Seule l'observation de votre troupeau pourra vous renseigner à ce sujet (chez les chevaux, c'est celui qui fait bouger l'autre qui domine). Ces relations vont être exacerbées en situation de stress, par exemple en cas de manque de nourriture, les dominants peuvent harceler les subalternes jusqu'à les pousser dans les clôtures et les casser.

La mise à l'étalon peut être parfois mouvementée...


RDN du Moulin de la Fosse à Manhay : le regroupent des poneys sur la zone de nourrissage suscite les menaces et les attaques pour établir la hiérarchie du troupeau.

Si certains animaux perdent du poids, ce n'est pas forcément un problème de santé (parasitisme...), ou un manque d'adaptation aux conditions sauvages. C'est peut-être aussi un problème de harcèlement, ou le résultat d'être chassé des bonnes zones de pâture... Il faut alors revoir les compositions de ses troupeaux.

Remarquons que le statut social change en cours de vie, il augmente généralement avec l'âge, pour les femelle le fait d'être gestante ou mère les fait monter dans la hiérarchie, l'expérience est aussi valorisée socialement : trouver les passages en terrains difficiles, connaître les bonnes zones de pâture, faire face aux intrus et défendre le troupeau...


Soucis d'habituation à la vie sauvage

Inquiétude des animaux qui semblent perdus, qui appellent, font des allez-retours le long de la clôture... ou la passent pour aller dans une prairie « plus orthodoxe » à leur yeux. Recherche d'anti-douleur naturel (acide salicylique) dans l'écorce des peupliers et des saules (écorçage massif en plein été, dès l’entrée des animaux dans la parcelle) preuve qu'ils sont en souffrance psychique.

Ensuite, mauvaise circulation sur la parcelle : sur-pâturage des zones sèches, ne traversent pas les zones marécageuses, les rivières, pas de pénétration dans les fourrés ou les hautes herbes. Perte de poids des nouveaux individus alors que les expérimentés pètent la forme.

    
RDN du Moulin de la Fosse à Manhay : seul les animaux expérimentés oseront pénétrer sur les terrains difficiles.

Trouver sa nourriture en pleine nature ça s'apprend... déjà dans l'utérus de sa mère. L'idéal est de faire les naissances en extérieur, le jeune pourra ainsi découvrir son environnement et apprendre à choisir ses aliments en suivant sa mère (si elle est expérimentée en milieu naturel...). Dans le cas d’achat de nouveaux animaux, il faut savoir que les jeunes sont plus malléables et s’habitueront plus vite à de nouveaux environnements ;  quant aux adultes qui n'ont connu que le pré, il leur faudra minimum 2 ans pour s'y retrouver dans les 200 espèces de plantes sauvages à leur disposition. Il est parfois utile de les mettre en compagnie d'animaux expérimentés... Mais de toute façon, il faut garder à l'esprit qu'ils vont devoir ingurgiter une quantité de nourriture deux fois plus volumineuse (car moins nourrissante) qu'en prairie conventionnelle... leur système digestif va demander un certain temps pour s'adapter...


Intrusion

La clôture est arrachée de l'extérieur vers l'intérieur (inclinaison des piquets, fils à terre à l'intérieur de l’enclos.

Les responsables sont peut-être un voisin négligent avec des clôtures en piteux état (coup de corne dans le poitrail de vos animaux) ; la traversée d'une compagnie de sangliers (grillage arraché) ou d'une harde de biche (fil sectionné).
Solution : un recommandé à votre voisin ; pour le gibier revoir le paragraphe « visibilité des clôtures ».


RDN du Moulin de la Fosse à Manhay : de par sa petite taille et son faible poids le chevreuil ne pose généralement pas de problème aux clôtures.
Remarquez le ruban blanc pour signaler la clôture au gibier.

Passage d'une harde de cerfs exactement au même endroit : c'est un tout autre gabarit.
Effrayés lors de battues, une harde au galop peut casser des isolateurs, sectionner les fils, voire coucher les piquets sur 20m de longueur.

  
RDN du Fays de la Folie à Manhay : passage d'une jeune laie sous la clôture.
Si le barbelé inférieur n'est pas trop bas (à 50cm), la plupart des sangliers passeront dessous, mais les gros solitaires à la course pourront le sectionner !
Dans le cas de grillages (moutons et chèvres), les sangliers peuvent faire de gros dégâts : vous aurez intérêt à électrifier le bas de la clôture...

Il est prudent de remettre le courant sur la clôture électrique quelques semaines avant l'arrivée des animaux et de refermer toutes les barrières, afin que la faune sauvage s'habitue à la clôture... et fasse ses casses avant l'arrivée de vos animaux.


Prédation

Pour terminer cette fiche sur les clôtures, signalons que si vos animaux ne sortent pas cela ne garantit pas que des prédateurs ne peuvent pas pénétrer sur vos parcelles… Pour l'instant en Belgique, la prédation ne s'observe que sur les moutons : animaux disparus, tués, blessés ou encore effrayés et refusant de retourner à certains endroits.

Responsable : chiens
en divagation (de loin celui qui fait le plus de dégât) ou de promeneurs indélicats, sanglier éventrant et dévorant des moutons, loup (très rare en comparaison des attaques de chiens).
  
Site militaire pâturé : mouton Soay tué par deux chiens (
croisé Husky / Berger australien) et dévoré par les renards. (Photo : Maximilien de Neve)

Solutions :

Mettre un chien de garde de type Patou avec les moutons : c’est généralement suffisant pour les chiens, les sangliers et les loups solitaires.

Bergerie des Fagnes à Vielsalm : Patou veillant sur les moutons dans la bergerie.

Déplacer les animaux à plusieurs kilomètres dès l'observation de signes de présence de prédateurs sauvages, en effet, ceux-ci ne chassent généralement pas au hasard des rencontres, mais viennent en repérage, évaluent les risques, élaborent un plan d'attaque. Il y a des vidéos paisibles qui circulent sur Internet avec par exemple un cheval qui se roule au sol en présence de plusieurs loups ; certains en font trop rapidement la conclusion qu'il y a cohabitation pacifique entre ces loups et ce cheval ; c'est mal connaître le loup, il faut peut-être y lire une autre histoire, les loups sont peut-être en repérage et se disent : « Qu'est-ce qu'il a dans le ventre ce cheval ? » et le cheval de crâner « Je pète la forme les gars et je n'ai pas peur de vous ! ». Si le jeu en vaut la chandelle, dans trois jours ils le mettent à terre et le dévore... c'est tout de suite moins bucolique !

NB : une clôture est rarement infranchissable, pire, certains prédateurs s'en servent comme filet en y poussant leurs proies...


Photo si non spécifié et texte : Marc PHILIPPOT - Version du 16/04/2020